November 22, 2023

Le numérique ne peut pas sauver le monde, compte-rendu très personnel du GreenTech Forum 2023

Le GreenTech Forum 2023, à l'heure où j'écris ces lignes, se termine juste et j'avais très envie d'en faire une synthèse aussi rapide que personnelle. L'effervescence était palpable et on sent bien que ça y est, "c'est l'année du numérique Responsable". Vous avez la réf ? Alors vous avez probablement autant de bouteille que moi ;). Mais commençons par le commencement.

Le GreenTech Forum, kesako ?

C'est sobrement, l'événement professionnel Numérique et Environnement.
Nous en sommes en 2023 à la 3e édition.
Ont participé 2000 visiteurs.
Enfin, plus subjectif, j'ai trouvé que le programme oscille entre GreenIT (plutôt tourné vers l'interne) et Services Numériques, incluant cette fois l'externe.

Ce contexte étant posé, nous pouvons regarder ce qui m'amène à penser que le numérique ne va pas sauver le monde... mais cela va largement occuper nos années à venir ;)

Sans action pour limiter la croissance de l’impact environnemental du numérique, son empreinte carbone pourrait tripler entre 2020 et 2050

Cette projection très forte provient de l'Etude ARCEP Ademe 2022, systématiquement louée pendant ces deux jours de conférence. Vous y trouverez une mine d'informations passionnantes. L'étude, réalisée selon la méthode ACV dont je vais reparler ci-dessous, répond à de nombreuses questions autour de l'impact du numérique.

Le graphique ci-dessous montre la progression attendue des différents indicateurs de l'impact environnemental du numérique dans le cadre du scénario tendanciel, c'est-à-dire si on fait ni mieux, ni pire.

Soulignons ces différents indicateurs car le débat est pollué par la seule vision carbone ;). En effet, travailler sur l'aspect carbone sans toucher aux autres indicateurs peut amener à des transferts d'externalités ou des effets de bord neutres ou négatifs à l'échelle globale, tout en faisant du greenwashing.

L'empreinte carbone pourrait presque tripler en 2050, la conso d'énergie doubler

Avant de tous déprimer, sachez qu'il y a d'autres scénarios modélisés qui sont détaillées et permettre d'envisager des lendemains meilleurs :

4 scénarios de l'impact environnement du numérique en 2030

Analyse du Cycle de Vie : pour dépasser la vision carbone, vive la méthode ACV

Donc cela vous semblait déjà difficile de mesurer votre empreinte carbone ? Vous étiez, comme moi, très fier de conduire des bilans carbone et de construire votre plan d'actions pour réduire votre impact ? Évidemment, intégrer d'autres indicateurs vient compliquer la donne mais, soyons honnête, on s'y attendait, et encore plus si vous avez participé à une fresque du numérique ou du climat (plus d'un million déjà !).

Toujours est-il que la solution existe. À l'échelle d'un produit ou d'un service, il est possible de comprendre l'impact environnemental global et c'est l'Analyse du Cycle de Vie dont voici les points marquants :

Start with why, l’ACV peut servir 3 objectifs : diagnostic, éco-conception ou communication.
Une méthode robuste car utilisée depuis longtemps dans des secteurs comme le bâtiment. Beaucoup plus récente dans le numérique cependant.
Elle évalue les impacts environnementaux liés à un produit / service tout au long du cycle de vie, y compris fin de vie.
À nouveau multi-indicateurs au-delà du carbone.
Plusieurs niveaux de précision sont envisageables pour équilibrer le temps passé vs. gain de précision et une simple feuille Excel peut suffire pour démarrer.
L’Ademe fournit des bases de données pour les calculs ainsi qu’un logiciel libre en ligne Base Empreinte.
Cela ne nous aura pas échappé, il manque encore dans tout cela la dimension sociale. L’Europe souhaiterait l’intégrer dans la méthode PEF ou Product environmental footprint qui est l’équivalent de l’ACV.

Vous avez aimé le RGAA, vous allez adorer le RGESN ou Référentiel Général d'Éco-conception des Services Numériques

Le Référentiel Général d’Eco-conception des Services Numériques, ou RGESN, vient compléter les dispositifs existants RGPD, RGAA et compagnie.

Au moment où j'écris, il fait l'objet d'une consultation - on pourrait presque parler de test utilisateur - et la version officielle devrait être opérationnelle au 1er jan 2024. En attendant, vous pouvez déjà la consulter en ligne.

Le référentiel va se comporter comme le RGAA avec 79 critères à évaluer, de la stratégie à l’hébergement en passant par l’UX/UI. L'un des résultats sera la délivrance d'un pourcentage de conformité à l'éco-conception de votre service numérique.

Ca n'a l'air de rien mais c'est une véritable révolution ! Nous avons eu pratiquement 15 ans pour nous mettre au RGAA et à l'accessibilité. Ca va aller beaucoup plus vite pour l'éco-conception !

Ré-inventer les imaginaires pour emporter l'adhésion

Aujourd'hui, le numérique - software et hardware - nourrit notre imaginaire de succès, de bonheur, de réussite. Il participe à un paradigme d’accélération qui, tout en étant très efficace, contribue largement à la détérioration de la planète. Dans cette section, je vous livre sans traitement mes notes des conférences car je ne me sens pas assez expert mais j'y ai trouvé de quoi bousculer nos idées.
Dans son livre “Accélération et aliénation”, Hartmut Rosa exprime le fait que la technologie nous aliène :

sommes-nous plus heureux de recevoir un colis en quelques jours de l’autre bout du monde ? Parce que l’impact écologique, lui, est important.
Malheureusement, cette “vitesse” devient une norme sociale et appelle à aller encore plus vite. Autrement, c'est difficile de "réussir" et de vivre dans "lentement".
On retrouve derrière d’autres impacts comme le burn-out, la dépendance aux notifications, aux smartphones. Avoir des bulles de déccélération, comme le yoga, le pilates, ne suffit seul pas à changer le paradigme.
La technologie donne l’illusion que l’on pourrait éviter de changer de mode de vie. Ex : l’hydrogène pourrait sauver l’aviation sauf qu'en regardant froidement la production d’hydrogène nécessaire, on parle de 20 nouveaux réacteurs nucléaires pour la flotte civile française uniquement, une impasse donc.

Comment sortir de cela ? En changeant les imaginaires. Vous vous rappelez le livre "Sapiens" ? L'homme est un animal de fiction. Comment la fiction peut-elle créer un désir collectif d’aller dans une nouvelle direction plus durable ? On a parlé de séries sur Netflix pour valoriser ces imaginaires, idem pour les influenceurs.
La même question se pose dans les entreprises. On y cultive pas l’imaginaire de la renonciation mais c'est possible de l'apprendre. En attendant de retravailler en profondeur les business models. Par exemple chez Renault Trucks où, faisant le constat qu'il y aura moins de camions sur les routes demain, on investit dans les vélos cargos.

Demain, l'IT for Green ?

Pendant ces deux jours, nous avons beaucoup parlé de l'impact environnement - et dans une bien moindre mesure social - du numérique. Il y aussi un miroir de ce green IT, c'est l'IT for Green. Autrement dit, quel est le rôle du numérique dans la transition écologique ?

Pendant plusieurs conférences, on sentait cette envie de regarder comment le numérique peut réduire les externalités négatives d'autres secteurs. Exemple : peut-on utiliser l'IA pour optimiser les tournées et limiter les camions sur la route ?

Comme il est déjà complexe de mesurer l'impact du numérique "sur lui-même", vous pouvez imaginer que ces vases communicants entre secteurs, positifs comme négatifs, sont encore plus balbutiants.

Le sujet du GreenTech Forum 2024 ? Pour voir si on peut sauver le monde malgré tout ? Pour le savoir, on se donne rendez-vous l'année prochaine et, en attendant, parlez-nous ici de vos projets :)

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Thibault Geenen (@nonobstant)

Thibault est fasciné par le pouvoir de l'UX, en particulier l'UX research et avec les besoins et comportements des utilisateurs. En tant qu'entrepreneur, il continue d'étudier la philosophie d'entreprise libérée qu'il s'efforce de mettre en pratique pour Ferpection et pour ses clients à travers le concept d'UX for Good. Amateur de Science Fiction, il reste le seul être humain à croire que le livre 'Seul sur Mars' est un recueil de conseils pour entrepreneurs.